Venezuela, le culte de la violence des « Santos Malandros »

Eliane Martinez
27 Juillet 2013



Caracas, l’une des capitales mondiales du crime, fait face à sa violence en faisant recours aux nouvelles déités créées à l’image des malfaiteurs qui la caractérisent. Le culte de « Santos Malandros » est un syncrétisme religieux qui témoigne de la capacité de réinterprétation du code moral de la part des individus.


Los Santos malandros de Venezuela | Crédit Photo -- VICE México
Los Santos malandros de Venezuela | Crédit Photo -- VICE México
L’Amérique latine connait un grand éventail de cultes syncrétiques qui reflètent sa richesse et sa diversité culturelle. À la fin de l'époque coloniale, des cultes comme le Candomblé au Brésil, la Santeria au Cuba ou le Vaudou en Haïti ont fasciné la communauté scientifique, notamment les anthropologues, qui se sont longuement attardés à déconstruire les composants de ces divinations, afin de comprendre leurs fonctions sociales et les réponses qu’elles apportaient aux communautés métisses.

Le culte de « Santos Malandros » est un syncrétisme religieux qui témoigne de la capacité de réinterprétation du code moral de la part des individus, qui sont confrontés d’une part à la violence extrême et d’une autre à la crise des institutions conventionnelles.

Caracas est l’une des villes le plus dangereuses du monde, les gangsters sont devenus de véritables icônes de la culture populaire. Le culte des « Santos Malandros » (Saints gangsters) témoigne du morcellement de rites – loin du diktat des « religions traditionnelles ». Le culte des « maladros » trouve ses origines dans la Santeria vénézuélienne, elle-même amenée de Cuba par des exilés de la révolution cubaine. La Santeria se base sur l’axe de « sainte trinité » conformé par Maria Lioza, le Negro Primero et l’Indien Guaicaipuro. Selon l’anthropologue vénézuélien Francisco Franco, « les célèbres “santos malandros” font partie d’un phénomène plus large appelé “âmes miraculeuses”. Parmi celles-ci, on trouve des personnes comme des politiciens, des paysans, des guérisseurs et même des inconnus qui ont connu une mort tragique ».

Afin de comprendre ce culte, il faut d’abord déconstruire les couples d’oppositions tels que le sacré/profane, le saint/sacré ou même le religion/magie. Les croyants des « Santos Malandros » ont articulé leur foi autour d’une morale personnelle adaptée au contexte particulièrement violent qui caractérise la société vénézuélienne. À cela, M. Franco ajoute que « les gangsters sont des personnages tellement reconnus dans la communauté, qu’après une mort tragique ils deviennent des "morts miraculeux" parmi leurs proches. C’est ainsi que le culte grandit et déborde du groupe auquel il appartient au début ».

Le culte des gangsters comme réponse à la déstructuration sociale

L’apparition de ces pseudo-icônes religieuses a pris sa source dans la crise du modèle social, un modèle de plus en plus défaillant, basé sur le seul pétrole et la seule richesse d’une élite. Le Venezuela a connu un processus de restructuration et de désintégration qui a touché toutes les échelles de la société. La classe populaire a acquis plus de poids politique en s’intégrant à la démocratie participative. Cependant, une certaine « classe », composée en grande majorité de jeunes hommes, a répondu à l’opulence des classes aisées avec une violence en croissance exponentielle.

De la même manière, les institutions traditionnelles ont été remise en question, car elles n’incarnaient pas les valeurs qu’elles professaient. Il s’agit en premier lieu des politiciens corrompus, ensuite des forces de l’ordre -aussi malignes et démoralisées que les criminels et qui ne représentaient aucunement une figure de protection fiable.

Les croyants se sont éloignés de l’Église catholique, qui n’a pas pu - ou su - apporter les réponses adéquates aux mutations sociales de la fin du XXe siècle. Le culte des « malandros » cherche à répondre aux questions telles que la violence, le droit et la justice. Pour les Vénézuéliens, il s’agit de créer de nouvelles entités morales qui puissent s’adapter aux nouveaux conflits sociaux.

Dans la dialectique entre identité et altérité, les criminels se voient reflétés en l’image des saints gangsters. Ces saints modernes sont pour la plupart des jeunes hommes issus des classes populaires, qui ont vécu hors la loi, et qui - réalité ou non - grâce à leur force et intelligence sont devenus des mythes. Pour cela, les délinquants trouvent des figurines qui les permettent de revendiquer et de légitimer leurs requêtes qui ne s’adaptent pas au code moral des religions conventionnelles.

Certains affirment que seuls les gangsters auxquels ils vouent un culte aux « Santos Malandros », mais en réalité de nombreuses personnes font appel à cette foi. Il n’est pas rare que des parents demandent de l’aide pour résoudre les problèmes de leurs enfants, sur des questions comme l’addiction à la drogue ou la prostitution. Les prisonniers s’accrochent à ces images lors de leurs séjours en prison, afin d’être protégés et sortir plus vite.

Cependant, il faut aussi soulever l’aspect commercial de cette pratique - qui n’a rien aux autres cultes spiritistes en général. Des magasins spécialisés en vente des figurines et des médiums, qui se revendiquent comme canalisateur entre le monde des vivants et celui de divinités, profitent de la foi des croyants pour faire du profit. Bien que le culte ait déjà un fort succès au sein de classes populaires, les commerçants continuent d’alimenter ce business avec de la publicité et par le biais des peintures murales qui décorent les rues de la ville de Caracas.

Le culte de « Santos Malandros » reste une réponse au fort besoin de protection qui existe dans la société vénézuélienne. De plus en plus de personnes recherchent le réconfort et le sentiment de sécurité issue de cette pratique syncrétique où la société a trouvé une bénédiction, face aux dangers qu’elle doit affronter au quotidien.

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